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Faudacq peint Paimpol

Description

Faudacq entre terre et mer dans le Trégor-Goëlo

 

Louis-Marie Faudacq : un peintre douanier en Trégor (1840-1916)

 

 

Evoquer Louis-Marie Faudacq, c’est d’abord saluer le “stum” de l’artiste, raconter une histoire, celle du Trégor à la fois rural maritime, à travers ses usages, ses valeurs d’usage du territoire, par un ciel de n’importe quelle couleur, ce que traduit la palette du peintre, ses dessins aquarellés, ses gravures et ses huiles sur bois. La campagne bocagère, les champs de lin, les fermes manoirs, les moulins à vent et les marées meunières, les foires et marchés, parcourus par les attelages, les villes de fond d’estuaire aux architectures à pans de bois, les fontaines et calvaire de granit, sans oublier les anses où naissent des ports et les grèves de vase bleue où les marins s’affairent à caréner les vieilles coques, à ramasser le goémon ou à échouer leurs navires de pêche ou de cabotage, qu’on appelait écraseurs de crabes.

 

Louis-Marie Faudacq, né en 1840 dans le nord de la France, est issu d’une famille du Goëlo, dont l’aieul fut le premier maire de l’Île de Bréhat après la Révolution française, dont un autre arrière grand-père mis en culture les premières pommes de terre Duke sur l’Île Logodec dans l’archipel de Bréhat… Encore faut- il préciser que Faudacq n’embrasse la carrière de douanier que pour obéir aux injonctions de son père, douanier lui même, alors que notre jeune artiste, formé à l’école de Barbizon, ne rêvait que d’une carrière de peintre…

Alors notre douanier se fera peintre documentariste, ethnographe de la vie laborieuse de ceux qu’il observe dans ses tournées, au détour des sentiers champêtres et des itinéraires côtiers, entre les ports, les havres et les grèves…

Son art va s’exprimer au lever du jour, ou au couchant lorsque celui que ses compatriotes appellent affectueusement “Gobe la lune”, va magnifier en couleur, à travers différentes techniques et cadrages, des motifs à la fois paysagers et sociologiques.

 

Par les champs et paer les grèves du Trégor, en cie de Louis-Marie Faudacq

La géographie du Trégor historique s’étend entre les rives du Trieux et la rivière de Morlaix,

selon le découpage religieux de la Bretagne sous l’ancien régime.

Cependant, l’oeuvre artistique et ethnographique de Louis-Marie Faudacq prend son inspiration

de la baie de Paimpol à la baie de Lannion, en traversant le Trieux, “Lez an drev”, de l’anse du Lédano, en amont du port de Lézardrieux au port gallo-romain du Yaudet.

Quant au territoire administratif de surveillance des côtes et de contrôle de l’ensemble des activités

maritimes, qui incombent aux douaniers, il prend en compte les quartiers maritimes de Paimpol et de

Tréguier longtemps réunis sur la coque des navires par l’inscription P et T.

Nous allons accompagner l’infatigable douanier, arpenteur des quais, des grèves et des chemins creux,

dans son travail de réécriture du paysage rural et maritime, en apprécier l’évolution et les usages

de cette société littorale entre terre et mer, sur ses pages aquarellées, au tournant du XIXe  et du XXe siècle.

Le Trégor : un pays d’art et d’histoire

C’est un véritable inventaire détaillé du patrimoine bâti que nous propose l’artiste, un patrimoine

vivant, habité, vécu, au plus proche des gens qui le font vivre… Il nous révéle l’esprit des lieux, les valeurs d’usage du pays, du territoire, d’une communauté littorale, dont il est l’observateur familier et impliqué.

 

Les traits caractéristiques du dessin de Faudacq, impliquant des situations souvent cocasses,

témoignent de l’empathie de l’auteur, de sa volonté de scénariser son propos, ses représentations, comparables à la technique de la bande dessinée ou BD.

Faudacq nous plonge dans un décor où le cadre s’efface derrière les objets animés, les postures, les gestes, l’inclinaison des coques des navires en mer ou à l’échouage, les manoeuvres toujours recommencées.

Mais aussi en multipliant les formats et les supports à la disposition des ses multiples techniques picturales : dessins à la plume, fusain, Nombre de dessins associant des techniques mixtes, crayon, aquarelle, fusain, crayons de couleur, huile, etc. rehaussé de pastel ou de gouache, couvrent, recouvrent les feuilles de papier, au format d’un livre de poche ou d’un timbre de poste, et même sur du papier d’emballage ordinaire ou encore sur des pages découpées dans les fascicules de l’administration des douanes.

Un peintre photographe

Avant l’invention de la photographie, Faudacq innove les points de vue.

On peut facilement imaginer à partir des cadrages, en plongée du haut d’un quai ou d’une colline ou

en contre-plongée, le douanier, les pieds dans la glaise bleue des grèves, dessiner sur le motif, une scène goémonière, un chargement de goémons noirs au Sillon de Talbert, ou un attelage remontant d’un

“men karr” (chemin pour les charrettes dans le grève), pour emprunter les sentiers embourbés des terres hautes.

Parfois, le carnet, recouvert de toile de lin, couvert d’inscriptions à la main, permet d’éviter la pluie,

une fois refermé, après que l’auteur eut le temps de saisir fidèlement l’architecture d’une ferme manoir

et de sa cour fermée. Ses fermes manoirs si nombreuses dans le Trégor, habitées par une petite noblesse

rurale, laborieuse, enrichie progressivement par la culture du lin et de l’élevage des chevaux (manoirs

du Cosquer, de St-Renaud, de Mézobran).

Le petit patrimoine vernaculaire n’est pas oublié : les fontaines, souvent votives, jaillissent des talus ombragés, avec l’eau vive des ruisseaux et les bruissements des merles, le beuglement des bêtes à l’abreuvoir répond à l’appel de l’angélus, et de la porteuse d’eau, près du puits à balancier de Pont-Rod en Pommerit-Jaudy. L’identité visuelle et sonore de la campagne trégorroise apparaît dans ces scènes champêtres.

La perspective et la démarche ethnographique

Dans les rues sombres et étroites des villes moyen-âgeuses de fond d’estuaire, de Tréguier à La Roche-Derrien et Lannion, Faudacq croise parfois le curé en soutane et chapeau de feutre, ou encore les marins en goguette, flirtant avec les belles dames du marché. Le marché de Tréguier est très animé devant la cathédrale (sur les quais aujourd’hui), avec les marchands d’animaux, les bêtes à cornes, les cochons, la volaille. Les ombrelles et les barnums rivalisent de couleurs. Le porche de la cathédrale est encombré par la foule attirée par le pardon de la Saint-Yves.

Les forains se sont installés sur les quais et proposent des jeux, des spectacles de danse, de jonglerie,

alors que les troubadours distribuent des feuilles volantes au son de la vielle.

Les goélettes de cabotage comme “l’Océanide” du capitaine Joseph Nicolas attendent à quai le chargement en vrac des pommes de terre nouvelles, la fameuse variété Duke" qui sera vendue en Grande-Bretagne, de la Cornouaille au Pays de Galles, avec les oignons de Roscoff, et les poteaux de mine de la forêt de Plourivo en Goëlo. Au voyage retour, le charbon gallois réchauffera les chaumières et les tuiles rouges en provenance de Bridgewater couvriront les granges trégorroises.

Faudacq représente un “loch”, sorte de hutte en paille de seigle et en branchages, utilisée afin d’abriter les betteraves qui seront consommées l’hiver par le bétail. Ces granges éphémères étaient nombreuses à l’époque. Serait-ce le dernier loch du Trégor repéré encore aujourd’hui à Tréduder ?

Les marées meunières rivalisent avec les moulins à vent, nombreux sur ces côtes ventées du Trégor.

Pleubian était la commune qui en possédait le plus de tout le département. Ces édifices servaient aussi

d’amer remarquable afin de guider les navires vers les havres d’échouage en leur faisant éviter les saillants des rochers. Les clochers pouvaient avoir également la même fonction si leur faîtage pouvait s’élever au-dessus des frondaisons, comme le clocher de Plougrescant. Les dessins de notre douanier renvoient aux “vues de côte” de l hydrographe Beautemps-Beaupré.

Une littoralité et une maritimité d’usages en Trégor

En rivière de Tréguier, sur le Jaudy, les goémoniers tirent des bords dans le courant, chargés de varech,

de “vawac’h” ou goémon noirs, manoeuvrent de longs avirons dans les calmes après avoir abattu leur

mât de misaine, si le vent est trop fort ou refuse. Pendant l’été, Ils peuvent changer de gréement en

adoptant une voile à corne, aurique afin de pêcher aux filets et aux casiers vers le phare des Héaux de

Bréhat. Les canots goémoniers font escale dans chaque crique des deux rives de l’estuaire, avant de débarquer à Pouldouran et plus en amont au moulin de la Flèche à Hengoat. Les sabliers de Tréguier, à fonds plats, semblables à ceux de la rivière de Lannion, gréés avec une grande misaine très apiquée, armés de drague à poche, extraient le sable coquillier au banc de la Pie, à quelques encablures du phare de la Corne.

Ils attendent le flot au mouillage de Palamos en compagnie des lougres, flambarts et autres navires de

cabotage, comme les autres bateaux de travail du Léguer attendent la marée au Yaudet.

Bateaux de travail et bateaux de plaisance ont autant d’intérêt pour le peintre qui se révèle être un vrai

chroniqueur maritime. Ses carnets sont remplis de ces riches dessins. Faudacq n’était pas un navigateur,

mais fin observateur, il en connaissait toutes les manoeuvres qu’il a su “croquer” sur le vif avec élégance et justesse.

Sur les bords plus calmes du Guindy, les routoirs et les moulins de teillage attendent également leurs

meules de lin à sécher pour travailler cette graminée qui fit la fortune des paysans du Trégor.

À l’embouchure de l’estuaire, les îles d’Er annoncent déjà la côte granitique de Plougrescant, avec ses maisons blotties (“chouchet” en breton), entre les rochers, les “thors” préhistoriques, hérités de la dernière glaciation. On reconnaît toujours dans les multiples dessins de Faudacq le calvaire de Saint-Gonéry, qui débarqua, selon la légende, dans une auge en pierre au VIe siècle, en cie de sa mère Sainte Eliboubane…

Toutes ces terres littorales étaient cultivées au début du XXe siècle. On y pratiquait l’élevage, le pacage des moutons dans les présalés et les marais littoraux, derrière les cordons de galets où brûlaient les goémons dans les fours à soude.

Cette configuration géographique et géomorphologique se retrouve sur l’ensemble du littoral

trégorrois.

C’est toute une littoralité d’usages que nous fait revivre Faudacq par la lecture de ses dessins.

En ouvrant l’un de ses nombreux carnets, on découvre Port-Blanc. A proximité du promontoire de la Sentinelle et de son corps de garde, arrimée à son rocher, une chaumière dont les ouvertures tournent le dos à la mer, contraignant les vents de norois ; maison troglodyte, qui ouvre le regard sur une grève immense parcourue par des pêcheurs à pied.

L’estran, “l’estrande” en vieux français, “an aod” en breton, ou la mer en ses terres, ce n’est pas la plage, mais la grève. C’est à la fois une ressource pour les coquillages, les crustacés, un riche gisement d’herbes marines, d’algues, “vawac’h, colac’h, pisac’h”, algues ainsi nommées en breton, utiles pour amender les terres acides, mais c’est aussi une pêcherie, et une carrière à ciel ouvert pour les tailleurs de pierres. La gabarre vient charger les blocs de granit avec son mât de charge dans les grèves autour de l’Île-Grande et les îlots environnants. Dans ce dessin au crayon et à l’encre, le choix du noir et du blanc fait contraste, et témoigne de la dureté et de l’âpreté du métier.

 

Souvent les dessins de Faudacq sont rehaussés de quelques touches de couleur pour signifier, pointer, requalifier, caractériser… Avec des propositions écrites sur le support de couleur à  compléter, à remplir sur le motif… Dessin inachevé, non figé, en mouvement, rythmé sur un futur coloré, à colorier… laissant place à l’imagination, de celui qui appréhendera le croquis…

 

Mystère Faudacq

Mais pour quel public dessinait Faudacq ? À qui s’adressait-il ? À ses compatriotes à qui il donnait volontiers ses oeuvres, celui qui ne cherchait pas la postérité, le faire valoir, après seulement quelques rares expositions… Cette reconnaissance artistique lui sera rendue par Paul Signac, mais ce longtemps après sa mort…

Par ailleurs, Faudacq pratique lui-même la gravure en utilisant la pointe sèche sur le cuivre verni pour éditer des eaux-fortes, souvent signées. Elles illustrent la pluriactivité littorale du Trégor, agriculture et pêche. Leur diffusion fut limitée, mais certaines plaques retrouvées, gravées par Faudacq lui-même  sont aujourd’hui rééditées grâce au talent du graveur Erik Saignes. D’autres dessins de Faudacq, gravés par des professionnels, furent aussi édités dans la revue “le Yacht”, journal de la marine et illustreront ces chroniques maritimes sur des sujets aussi variés que l’édification d'un phare, les naufrages, la construction navale, la plaisance et les régates à Paimpol et Perros-Guirec, ou dans la revue l’Illustration” afin de promouvoir les amendements marins. Faudacq a également illustré l’ouvrage “l’Âme bretonne” de Charles Le Goffic.

 

Entre le daze et le lanno

À travers ces vuesde la côte depuis la mer et entre les rives, on constate peu d’infrastructures portuaires dans les anfractuosités du rivage, cependant au pied des bassins versants, la moindre crique, sert de bassin d’échouage, pour les opérations de transport, de transbordement de toutes les marchandises et denrées, à l’aide des attelages, tombereaux et chevaux.

Les chantiers navals sont aussi à ciel ouvert pour entretenir, réparer une coque grâce aux charpentiers des grèves, souvent itinérants.

L’abattage en carène est d’usage courant pour calfater, changer un bordé, brûler le vieux coaltar des coques. On respire la fumée de goudron, du guipon, le brai, le suif et le feu d’ajonc.

Les voiles tannées à l’ocre rouge, en chanvre, sèchent à côté des vêtements de mer huilés

entre deux espars. On devine les vieilles coques de gabarre aux voûtes affaissées, aux virures ouvertes, avec leur belle tonture, et leur étrave au brion profond ou à guibre.

 

Plus on avance dans l’intimité de l’auteur, plus on se surprend à désirer une suite à ses dessins, comme une longue histoire à raconter, cheminement à la fois sensoriel et de reconnaissance d’une société littorale aujourd’hui disparue, mais dont les paysages sont encore vivants et d’actualité parce que souvent préservés.

Huiles sur carton ou sur bois, avec une alternance de couleurs chaudes, de teintes plus sombres, échouages sur la vase et sous les talus ombragés. Que d’anses sauvages à redécouvrir pour des mouillages qui restent d’intérêt patrimonial, à proximité des herbus. Quiétude des vieilles coques, écraseurs de crabes, dont les bouchains s’amortissent sur la vase, à l’ombre rosée des tamaris.

Et dans ce théâtre de verdure, tout à coup apparaît un fin clocher de dentelles, au-dessus des arbres échevelés, de style Beaumanoir, avec sa flèche ajourée, qui défie les saisons.

Et Faudacq de décliner les saisons, l’hiver qui tord les branches des arbres, noircit l’écorce, déshabille la verdure, et révèle la blancheur des ronces, l’hiver qui déroule la lenteur des heures avant que le printemps enmièle de nouveau les genêts et auréole de pétales blancs les pruneliers en fleurs. L’influence japonisante aurait aussi tenté notre artiste, avec ses notes pastel comme une partition musicale.

Faudacq fait réellement partie de ces artistes qui ont vécu assez longtemps en Trégor et en Goëlo pour en révéler le sens profond d’un territoire entre la terre et l’eau, dans un langage manuel où l’homme sait encore énoncer le nom des lieux, faire corps avec ses usages et la poésie des grèves, entre le daze et le lanno.

 

Guy Prigent

Détail
Thème
Arts
Conférencier
Guy PRIGENT
Prix
Gratuit pour les adhérents
Prix (non adhérents)
1 € (la conférence est donc ouverte aux non adhérents)
Date
17/10/2023 14h15
Lieu
Binic-Etables-Sur-Mer
Durée
02h00
Nombre de place
200